Je disais dans mon précédent billet mon étonnement de trouver sur un support qui étale pour devise : « la liberté guide nos pas » un article intrinsèquement antilibéral, c’est-à-dire, anti liberté.
Et bien je dois dire, pour continuer de le regretter, que le site récidive avec un autre article, cette fois de Dominique Jamet, sur le sujet de la dette grecque[1].
Le titre est en soi tout un programme : « La dette grecque : la dictature libérale » !
Un contenu pourtant que beaucoup de libéraux signeraient des deux mains, et il faut en attendre la fin, et donc sa conclusion, pour que tout soit remis en cause : comprendre le malheur des citoyens grecs, et essayer de soulager autant que faire se peut leurs souffrances présentes et futures « serait ouvrir la voie à la remise en cause de la si douce dictature libérale sous laquelle nous vivons. »
Alors là, les bras nous en tombent ! Je veux bien que les libéraux soient coupables de tous les péchés qu’on voudra, mais qu’ont-ils à voir avec le sort de nos pauvres amis grecs ? Quand des libéraux ont-ils eu le moindre mot à dire dans toute cette affaire ? Où seraient les libéraux parmi les négociateurs ?
Au FMI ? À la Banque centrale européenne (BCE) ? À la Commission européenne ? C’est une farce ?
Monsieur Jamet peut-il sérieusement ignorer qu’un véritable libéral ne voit parmi ces instances que des ODS (Oints du Seigneur, pour reprendre la terminologie de Monsieur Gave[2]), c’est-à-dire des hommes de pouvoir et de connivence, à des années-lumière de se considérer eux-mêmes comme des libéraux, ou d’être reconnu comme tels, par ces derniers ?
Quels libéraux auraient voulu l’Europe, en tout cas celle qu’on nous a fabriquée, avec une toute-puissante commission européenne : pour un libéral, une authentique dictature, qui impose aux citoyens jusqu’à la quantité d’eau qu’ils utilisent pour leurs toilettes, ou qui se mêle de la manière dont les parents fessent ou non leurs enfants…
Monsieur Jamet reproche aux négociateurs de manquer de charité. Il semble donc ignorer que la charité a été, sinon inventée, du moins mise au premier plan par un certain Jésus, incontestable libéral[3], même si ce sa pensée se trouve aujourd’hui étonnamment trahie par celui qui devrait être son premier défenseur (mais il s’agit là d’un autre sujet, sur lequel j’entends bien revenir !). Eh oui, Monsieur Jamet, si les négociateurs étaient des libéraux, nul doute que les individus seraient au centre des débats, et que le souci de leur malheur les préoccuperait beaucoup plus que le confort des banquiers et de leurs camarades oligarques, dont par définition, ou plutôt par nature, un libéral n’a tout simplement que faire.
Dans un univers libéral, il ne trônerait d’ailleurs aucun oligarque, car ces derniers seraient obligés de travailler, ce qui serait de nature à rabaisser leur caquet à la hauteur du restant de l’humanité. Dans un univers libéral, les banquiers seraient, tous, en situation de concurrence, ce qui serait de nature à rabaisser leur arrogance à la hauteur de la hauteur naturelle des autres humains. Tous les banquiers, et donc y compris les banquiers « centraux ». Non. Ce que je viens de dire est une absurdité : dans un univers libéral, le concept même de banque centrale ne peut même pas se concevoir.
La démarche libérale est à l’opposé de la démarche qui a conduit la Grèce dans la situation où elle se trouve.
Je vous entends depuis la solitude de mon clavier : mais dans la situation actuelle où se trouve mise la Grèce (et sans doute demain, tant d’autres pays de l’Union européenne), que ferait de plus (de mieux) un « libéral » ? Et cela me rappelle un épisode personnel que je ne résiste pas à partager avec vous !
J’ai eu la chance de suivre pendant plusieurs années les enseignements d’un grand maître de l’équitation dite de haute école, récemment décédé, Michel Henriquet. Un jour, assis à ces côtés dans sa petite tribune d’observation et d’enseignement, nous regardions un jeune cavalier, juché, du moins provisoirement, sur un jeune cheval, en opposition tellement visible avec cette situation qu’il était évident que celle-ci ne pouvait avoir qu’une durée des plus éphémères… Je demandais alors au Maître ce qu’il aurait fait, dans une telle (périlleuse) occurrence !
– Mais rien de plus, et rien de mieux que ce jeune homme, me répondit-il !
– … ?
– Mais la différence, c’est que moi, je ne me serais jamais mis dans une telle situation !
Une conception libérale n’eût jamais mis aucun Grec dans la conjoncture actuelle. Ni d’ailleurs aucun Européen. Et personne n’aurait à se soucier de la manière de se sortir d’une situation en effet sans issue. D’autant plus sans issue que les simagrecques des négociateurs ne visent aucunement à trouver une solution pour sauver la Grèce, mais seulement à sauver les apparences des uns et des autres, et je prends le pari (sans risque) que c’est en effet ce qu’ils vont faire.
Oui, c’est un crime contre la pensée que de faire croire que le malheur grec, tout comme le malheur qui menace de la plupart des autres états européens est un malheur libéral ! Le malheur grec aujourd’hui et le malheur européen qui nous guette n’a rien d’origine libérale, c’est le malheur d’une pensée étatiste, dirigiste, qui se moque à peu près autant des individus qu’elle ne se soucie de leur bonheur.
Encore une fois, Monsieur Jamet, vous avez parfaitement le droit de ne pas aimer le libéralisme. Mais vous n’avez pas le droit intellectuel de prétendre voir des libéraux là où précisément il n’existe aucune chance d’en rencontrer même l’ombre de l’ombre.
Les étatistes socialistes ont une grande qualité : ils disent ce qu’ils font, ou ce qu’ils vont faire, et ils font ce qu’ils ont dit. Les socialistes de la mairie de Paris avaient par exemple annoncé qu’ils feraient de la vie des automobilistes parisiens un enfer, et ils ont effectivement fait de la vie des automobilistes parisiens un enfer. C’en est au point que dans mon immeuble, les quatre étages de parking sont désormais à peu près vides…
Les Français peuvent bouder autant qu’ils veulent Monsieur Hollande et même le siffler chaque fois que les gendarmes et les policiers leur laissent un moment de loisir pour le faire rapidement, ils ne peuvent reprocher à ce dernier de ne pas les avoir prévenus. Ils étaient prévenus.
Quand Monsieur le premier Secrétaire du parti socialiste parle de la liberté individuelle, c’est pour dire : « la liberté individuelle doit s’effacer devant la liberté collective ». Magnifique oxymore ! Que l’on peut mettre sans problème dans la bouche de tous les dictateurs et tyrans de tous les temps. En effet, si la liberté individuelle est en dessous et non au-dessus de la liberté collective, il n’y a plus de liberté possible : la seule liberté collective acceptable étant celle d’individus libres décidant librement une action collective. Et personne ne pourra supposer la moindre sympathie libérale à Monsieur le premier Secrétaire du parti socialiste.
Je me méfie beaucoup plus des étatistes qui se maquillent en non-socialistes, car ils sont beaucoup plus dangereux, beaucoup plus pernicieux.
Le problème des étatistes, socialistes et non socialistes, et que tout imbus d’eux-mêmes et du sentiment de leur supériorité, ils n’entendent plus le peuple, les gens : les jeunes qui ne trouvent plus de travail qu’à l’étranger, les artisans épuisés de charges, les commerçants qui voient fondre jour après jour le « panier moyen » de leurs clients, les patrons sans commandes, les chômeurs sans espoir, les salariés qui se demandent chaque mois si leur entreprise sera encore en mesure de les payer le mois prochain… tous ces gens qui eux, ne nourrissent aucun doute : tous, ils étouffent ! Trop de lois, trop de décrets, de règlements, trop de normes, trop de contraintes et de contrôles, trop de freins à tout, embauches, licenciements, entreprises…, trop de ceintures, trop de sécurité ! Tous, ils le savent, ce n’est certes pas d’un excès de libéralisme qu’ils souffrent, mais bien de son défaut !
Et ce n’est pas parce qu’ils ne sont entendus par personne, et qu’ils ne se trouvent pas de réels porte-parole que leurs voix resteront toujours muettes.
Ah ! J’allais vous quitter, en oubliant mon jeune cavalier sur son poulain fougueux : plus rapidement encore que nous ne l’avions escompté, il a roulé dans la poussière…
Paris, le 23 juin 2015
[1] http://www.bvoltaire.fr/dominiquejamet/grece-dictature-liberale,183230
[2] http://institutdeslibertes.org/mais-ou-sont-donc-passes-les-oints-du-seigneur/
[3] comme l’a magistralement démontré le même Charles Gave ci-dessus évoqué : voir son ouvrage Un libéral nommé Jésus .